L'immonde

J'ai appris à mes enfants à lire la presse étrangère pour nuancer ce qu'ils savaient de leur pays par un autre regard. J'aime le monde, j'ai aimé Le Monde. Le monde, c'est ce dont on se retire, par une ascèse délibérée, pour mieux s'y replonger. Le grand poète d'une petite île, Ponç Pons, écrit dans un poème dédié à sa tendre villégiature, «Na Macaret» :

   Retirat del món, del segle, escric amb la ventresca d'un anfossol l'elegia 
                        clara del salobre.
                        
   Retiré du monde, du siècle, j'écris avec la ventrèche d'un petit mérou l'élégie
                        claire de la fleur de sel. 

J'ai lu l'éditorial implacable de Le Monde consacré à la situation catalane, puis m'en suis retiré. Le Monde a accompagné mes années de formation. Suivant les conseils de mon père, j'y puisais les connaissances et la forme nécessaires à la préparation des concours administratifs auxquels je me destinais. J'ai voulu, cette fois-ci, ne pas réagir à chaud, laisser passer les heures, écouter mes amis catalans et français qui tempêtaient contre un manque flagrant d'objectivité, voire subodoraient la main d'une puissance supérieure derrière celle de l'écrivain -Macronland après Francoland dénoncée voici peu par Joan Pons et dont je me suis fait écho dans ces mêmes colonnes ? -. Puis j'ai fait ce que je n'ai cessé de conseiller à mes enfants. J'ai ouvert le journal digital catalan Vilaweb et j'ai lu l'article qui lui est consacré.
L'article est bref, précis, comme découpé au scalpel. Il reprend, en les traduisant, les expressions polémiques et serviles du grand quotidien français avant de conclure, sans y ajouter la moindre appréciation : 
«Naguère, Le Monde avait fait des éditoriaux critiques envers le gouvernement espagnol, demandant à Rajoy l'organisation d'un référendum pacté ou avait publié des articles contradictoires sur l'indépendance.»
En le lisant in fine, je me suis rappelé le mot de Danton, «la vérité, l'âpre vérité».
Le Monde a perdu des amis en Catalogne et en Espagne. Il en a aussi perdu ici. Une de mes collègues, professeur des universités, a lancé l'idée d'un collectif des «Universitaires atterrés», je serai honoré d'en faire partie.