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Coïncidences et espérances

Dix mois après l'avoir laissé devant les atermoiements de la classe politique catalane et ses luttes intestines, je reprends ce blog. Mon ami et compagnon en catalanité, Ramon Borràs Planagumà, fête son anniversaire le jour même où commence à Madrid le procès de douze hommes et femmes d'honneur qui ont porté et portent la parole de tout un peuple. Les Catalans, lucides et sardoniques, ont coutume de se situer entre deux extrêmes. S'ils définissent leur action par le Seny  -bon sens- et la Rauxa  -coup de folie-, ils avouent qu'il y a deux personnalités en eux, la puta i la Ramoneta , -la putain et bobonne-. On a tôt fait de rire de cette auto-ironie lucide et de les accuser de marejar la perdiu  -noyer le poisson-. Mais dans un monde où l'immédiateté clinquante tient lieu de réflexion, la pratique catalane du débat contradictoire est celle du temps long. La Catalogne a eu le plus tôt en Europe des assemblées délibératives et, malgré des tentatives const

La spirale des faux

Le faux peut être beau, la falsification un art. Mais quand il est mu par la hargne,la superbe et l'inculture, il s'avère désastreux et ne tarde pas à jeter l'opprobre sur qui en est l'auteur. Il y a quelques mois, je croyais, naïvement, que l'Espagne, à l'issue des violences du 1er octobre, serait mise au ban de l' Union Européenne, en application du titre 7 de son traité. Je m'étais trompé, lourdement. Je ne suis pas certain qu'elle y échappe désormais. Dans une reprise rusée du combat biblique de David contre Goliath, le président Puigdemont, ses ministres et les députés exilés, ont joué juste. Face à l'Europe institutionnelle désincarnée et délocalisée, ils ont opté pour regarder dans les yeux l'Europe des pays. Non pas celle des gens, malléables, mais celle des institutions locales et de leur justice indépendante des pouvoirs exécutif et législatif et garante de démocraties solidement assises. L'Écosse, la Suisse, la Belgique

La Catalogne a besoin de nous

(texte lu devant le Consulat d’Espagne à Montpellier, le 27 mars 2018, à 18h30 par Jean-Claude Llinares, du CDR de Béziers «La Barceloneta») La Catalogne a besoin de nous. Depuis dimanche, depuis sept mois, depuis trois-cent-quatre ans. Dimanche , le président Carles Puigdemont, chef d'État légitime de la Catalogne a été arrêté à la frontière du Danemark et de l'Allemagne et remis à la justice allemande pour son éventuelle extradition vers l'Espagne. Sa voiture était munie d'une balise GPS, installée par les services secrets espagnols (CNI) dont une dizaine de membres suivaient le véhicule. Il y a sept mois , une série d'attentats islamistes avaient lieu à Barcelone et à Cambrils, se soldant par la mort de 15 personnes et une centaine de blessés. L'enquête a conduit à un Imam de Ripoll, indicateur de la police espagnole. Tout porte à croire qu'il s'agissait d'une tentative de déstabilisation de la Catalogne, tentati

le bouc émissaire

Une semaine se clôt, marquée par un accroissement de la répression. Et elle s'achève par un coup de théâtre hors du territoire catalan. À la frontière du Danemark et de l'Allemagne, là même où, en dépit des accords de Schengen, se perpétuent des contrôles routiers pour lutter contre l'immigration, le président Puigdemont a été arrêté -arrêté et non retenu-. Il est trop tôt pour dire si la justice allemande appliquera l'ordre européen d'arrestation. Il est par contre déraisonnable de penser que, par un surcroît de confiance, Carles Puigdemont, aurait traversé en voiture cette frontière sans songer aux conséquences de son acte. Des vols directs entre la Finlande et la Belgique  existent . En rejetant l'ordre européen espagnol au motif qu'il n'était pas rédigé en anglais, la Finlande a montré toute sa réticence à arrêter le président catalan. Avant de se rendre en Scandinavie, Carles Puigdemont avait dit qu'il se mettrait à la disposition d

Contre la répression acharnée, la langue et la constance.

En 1948, à Perpignan, tout le monde parlait catalan dans les rues. Trente ans plus tard, le catalan ne s'y parlait plus ou presque. Une langue peut mourir si elle ne s'emploie pas au quotidien. Elle peut aussi renaître, autrement, du fait de l'enseignement, des médias, de l'investissement personnel et collectif. La proximité de la Catalogne du Sud y est pour beaucoup. Ces jours derniers, la répression contre le peuple catalan a gagné en puissance et en acharnement. Hier cinq peines d'emprisonnement préventif (sic) ont été prononcées. Mais la résistance s'organise. Marta Rovira, dont le jeu politique apparaissait confus, a fait le choix douloureux de l'exil. Les enseignants ont manifesté en masse, avec fermeté, contre la volonté centraliste d'imposer l'espagnol dans l'enseignement. La population catalane, hier soir, a repris la rue. L'O.N.U., clairement, a demandé que Madrid accorde un traitement digne à Jordi Sànchez. Mais la Catalog

Un autre aiMe contre la haine

Elle était née en France, à Avignon, un mois et deux jours avant l'armistice de 1945. Revenue sur sa terre d'origine, elle fit de la langue de son pays d'accueil, un outil précieux de communication entre les peuples et les jeunesses. Professeure exigeante, rayonnante et estimée, elle sut faire, à l'Université Autonome de Barcelone, des échanges Erasmus le plus sûr moyen de rendre réelle une Europe de papier. Je sais un ami qui, sans elle, ne parlerait pas français ni n'aurait enraciné un amour que ses cours avait couvé. Présidente d' Òmnium cultural depuis cinq ans, aux côtés de Carme Forcadell , alors présidente de l'ANC , elle avait conduit, avec constance et sans nulle tergiversation, la Catalogne à se déterminer. C'était une personne simple qui circulait à Barcelone en bicyclette, sans nul besoin d'une escorte de protecteurs ou d'admirateurs. Il y a deux ans, le jour de la Saint-Valentin, elle est décédée des suites d'u

le prix du courage et du parler vrai

J'ai eu la chance de voir et d'écouter Mireia Boya  ( CUP ) à Montpellier le 9 janvier dernier, lors d'une rencontre mémorable . Prenant la parole après les 43 minutes de la visioconférence du président Puigdemont, elle avait prouvé au côté de Laura Borràs ( JuntsXCat ) et Ana Surra ( ERC ) que les femmes des trois partis formant coalition indépendantistes savaient mieux s'entendre que ne le feraient quelques jours plus tard, au pays, leurs homologues masculins. Mireia Boya, née à Saint-Gaudens, Aranaise, maniant à la perfection quatre langues -occitan, catalan, castillan et français-, y avait prouvé sa constance et la cohérence de sees convictions, aussi bien sur l'indépendance que sur la république. Ce matin, à la différence de Carme Forcadell dont le brusque revirement n'a pas été sans effet sur mon absence du débat public pendant de longues semaines, elle a réitéré sa décision de ne pas se soumettre à la constitution espagnole et de revendiquer la

Un air d'indignité flotte sur la Citadelle.

Comme une amie romancière de renom, après la surprise, j'ai été marqué par la dignité des paroles du président du parlement catalan, Roger Torrent . Ce n'est que quelque heures plus tard, dans les messages filtrés, que j'ai pris conscience des motivations d'un coup de théâtre minutieusement préparé. En Catalogne comme à l'extérieur, les CDR incluent dans leur cahier des charges l'indépendance par rapport aux partis politiques et soutiennent toute initiative qui va dans le sens de la défense et de la construction de la République catalane appelée de leurs vœux par plus de deux millions de citoyens le 21 décembre dernier. La monarchie, l'État et les médias espagnols se rengorgent du mot «Démocratie» dont ils bafouent le sens au fil des heures, au risque de faire descendre leur pays dans le marais des «démocraties imparfaites» . Il ne faudrait pas que les guerres intestines au sein de la coalition favorable à l'indépendance et à la république, voire a

Ἑαυτὸν Τιμωρούμενος

Ἑαυτὸν Τιμωρούμενος , heautontimoroumenos, «le bourreau de soi-même» , est une pièce perdue de Ménandre . En parler s'apparenterait assez à une exégèse de «Tabàrnia» , apotopie unioniste dont ce blog s'est déjà fait écho .  C'est pourtant ce que vient de faire    Albert Boadella , acteur et metteur en scène de renom, qui, autrefois, a révolutionné la scène catalane, mais qui, depuis quelques années, semble vivre si mal ce vieillissement qui nous accompagne tous, qu'il se lance dans de violents réquisitoires contre la Catalogne, pro domo...alieno. Singeant dans une vidéo tout à la fois le président Tarradellas revenant de l'exil en 1977 et l'actuel président Puigdemont, il joue brièvement le rôle d'un chef d'État en exil. La pochade ferait rire si elle n'était diffusée dans l'Espagne (pour lui) confortable de l'État d'exception.  Il y a quarante ans, un mois et treize jours, Albert Boadella était incarcéré pour injures à l'

Naissance du CDRi de Béziers

Issus des Comités de Défense du Référendum (du 1er octobre), les Comités de Défense de la République ( CDR ) ont pour objet, de façon souple et collégiale, de défendre, illustrer et promouvoir la République Catalane proclamée le 27 octobre 2017. Outre les CDR propres à la Catalogne, il existe des comités à l'étranger (CDRi), par ville et/ou regroupement régionaux. Hier, lundi 15 janvier 2018, Ramon Borràs Planagumà, Jean-Claude Llinares, Gaël Schultz et moi-même, Michel Bourret Guasteví, nous nous sommes réunis pour décider de la création du CDRi «Besièrs» . Avec l'appui d'autres membres, notamment occitanistes, qui n'avaient pu se joindre à nous ce soir-là. Nous avons commencé, en parallèle, à mettre en place une association régie par la loi de 1901, de façon collégiale et non pyramidale, afin de promouvoir la culture catalane sur le bassin biterrois. Nous lui avons donné le nom de «La Barceloneta» , en hommage à Hilari Salvadó i Castell, dit Lari de

Antigone en prison

Antigone , pour les Montpelliérains, c'est avant tout un quartier (naguère) novateur, érigé sous la houlette du maire Georges Frêche , pour marquer de son sceau la (re)naissance d'une cité dans le désert méditerranéen entre Barcelone, Marseille et Gênes. Le géographe  Raymond Dugrand , premier adjoint de l'édile, en avait confié la réalisation à l'architecte catalan  Ricardo Bofill. Et de mauvaises langues disaient que son nom provenait moins de l'héroïne grecque qu'il ne s'opposait («anti-») à l'ultime joyau du précédent maire, le centre commercial Polygone . Montpellier, siège de la deuxième université d'Europe, ville de concorde entre les trois religions du Livre, berceau du roi Jacques le Conquérant , initiateur de la domination catalano-aragonaise sur la Méditerranée, accueillera le mardi 9 janvier, à la salle Guillaume-de-Nogaret , à partir de 18h30 un «débat sur la situation politique en Catalogne» avec Mireia Boya (CUP), Ana Surra (E

Gouvernements en fonction

La mémoire des sociétés démocratiques ou, plus exactement, qui pensent vivre en démocratie, est volatile. Qui se souvient encore qu'il n'y a pas si longtemps l'Espagne ne parvenait pas à s'assurer une majorité de gouvernement ? Elle était ingouvernable. Était-elle pour autant ingouvernée ? Non pas. Par un curieux et durable artifice, le précédent gouvernement, issu de la majorité populaire , demeurait en fonction. Jamais gouvernement, alors même qu'il n'avait plus aucune légitimité démocratique, n'a pris autant de décisions ayant d'incidences sur le citoyen lambda. Pour quelle raison ? Tout simplement car issu d'un parlement antérieur il n'était pas responsable sur le parlement élu. La situation se répétait alors inlassablement. Le monarque, dans son costume étroit de représentant en aspirateurs, appelait auprès de lui les éventuels candidats à la reprise, constatait l'inviabilité des coalitions peu ou prou dessinées et convoquait de nou

Une crèche et des places

«Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font.» (Luc, 23.34) Les paroles du Christ, rapportées par Saint Luc, me sont revenues à la lecture d'un fait divers survenu lors de ce que l'on appelle d'ordinaire la trêve de Noël. Un fabricant de crèche, à cette occasion, a envoyé une de ses créations au vice-président Junqueras -dont on connaît la foi- et au ministre Forn, en leur prison d'Estremera, par l'entremise de la société UPS. Le paquet lui est revenu disloqué, crèche brisée, avec inscrit sur l'étiquette en lettres capitales bleues «¡Viva España!» . On me dira qu'il s'agit là d'un fait isolé voire on m'accusera de regarder la situation catalane du petit bout de la lorgnette. Il n'empêche. Les semaines, les mois défilent et les prisonniers politiques demeurent sous les verrous, objet de vexations quotidiennes. Les heures passent sans que l'on sache si le président Junqueras sera élargi par la Cour Suprême. Pend

À qui profite le crime ?

Dans leurs discours des vœux, des présidents de communautés autonomes d'Espagne ont rivalisé de dureté face à la Catalogne, manifestant ce «délit de haine» dont le gouvernement est si prompt à se servir contre les citoyens catalans mais qui, dans leur cas, demeurera sans effet. Dans cet exercice servile, le plus virulent a été Javier Lambán , président de la communauté de l'Aragon, voisine de la Catalogne, et ancienne partie de la couronne aragano-catalane. Dans un évident dessein polémique -au sens premier du terme-, il s'est adressé à la population aragonaise depuis le monastère de Sainte-Marie de Sigena , à côté des œuvres saisies précipitamment au musée de Lleida en vertu -extensible- de l'article 5. Un dicton espagnol, rendu universellement célèbre par un film puissant de Carlos Saura, commence par ces deux mots «Cría cuervos» (élève des corbeaux). On en oublie trop souvent la conséquence : «y te sacarán los ojos» (et ils te crèveront les yeux). L