Où il est question de bourse et de Bourse
Dans un article de la revue culturelle Catorze 14, le romancier Jesús Lana pose, de façon apparemment désinvolte un problème de fond :
«Mais on s'attendait à quoi ? À faire une révolte historique et que ça ne nous coûte pas un rond ?»
Refusant de jouer les Cassandre ou les Messie -ce qui ne manque pas de sel pour un Barcelonais-, il interroge le passé en partant de constatations simples. Et dessine ainsi un avenir possible :
«L'Espagne ne nous a jamais entendus et personne de l'extérieur ne nous a aidés, à moins qu'il n'en ait retiré quelque bénéfice en retour. Ce n'est guère surprenant, l'Europe fonctionne ainsi, et le monde en général : les problèmes des autres sont ceux des autres, jusqu'à ce qu'ils nous affectent. Et nous ne pouvons pas nous plaindre non plus, nous ne nous sommes pas cassé le cul quand d'autres ont souffert (et souffrent) de violations des droits de l'homme bien plus atroces que celles dont nous souffrons ici.
Comment pouvons-nous arriver à ce que quelqu'un s'intéresse à nous ? Je ne vois qu'une seule façon : en le touchant au porte-monnaie, en faisant que nos problèmes soient aussi les siens. C'est un langage universel que tout le monde (même Rajoy) comprend. Maintenant, cela a des conséquences, et graves. Parce que pour effrayer l'Europe, nous devrons couler et entraîner l'Espagne (plus ou moins comme Moby Dick l'a fait avec Achab, mais en attendant qu'il y ait un bateau de Greenpeace à proximité). Et ça fait peur. Et ça fait mal.
Historiquement, le coût de ces révoltes a été payé en sang, avec des vies humaines ; un prix très élevé, le plus cher de tous. En revanche [...] nous pouvons nous limiter à des coûts économiques. Oui, je sais que cette limite n'est guère rassurante ; après tout, il faut bien qu'on mange [...] Mais si on le compare à l'alternative, il n'y a pas photo: il vaut mieux mourir de peur que mourir tout court. C'est à vous de voir, surtout si vous voyez depuis la prison.
D'ailleurs, c'est la seule arme que nous ayons, et le fait que nous soyons prêts à l'utiliser en conscience nous rend puissants. Cela montre que nous croyons, que nous croyons que cela vaut la peine de se sacrifier pour quitter un État qui ne nous a jamais compris, que nous croyons en nous, qu'une fois libérés nous pourrons, si nécessaire, recommencer et récupérer très rapidement tout ce que nous avons perdu.»
On pense au dicton catalan «Barcelona és bona si la bossa sona» (Barcelone est bonne, si la bourse tinte). Et on en oublie souvent la deuxième partie : «tant si sona, com si no sona, Barcelona és bona.» (qu'elle tinte ou qu'elle ne tinte pas, Barcelone est bonne) Tout espoir est donc permis, n'est-ce pas, Monsieur Lana ?
