Qui se cache derrière les manifestants unionistes
Les événements vont si vite et dans un sens si incertain qu'il peut sembler sans grand intérêt de revenir sur la manifestation des unionistes hier à Barcelone. Le départ du président Puigdemont et de certains membres de son gouvernement à Bruxelles, les déclarations du vice-président du sénat espagnol disant que si les souverainistes regagnaient, l'article 155 serait à nouveau appliqué, tout cela invite à calmer le débat et à remonter en arrière de quelques heures ou de quelques jours. C'est dans cette optique, que je vous livre la traduction d'un article de David Miró, sous-directeur du quotidien Ara, intitulé «Qui y a-t-il derrière la manifestation unioniste?»
«Des centaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche à Barcelone en faveur de l'unité de l'Espagne, tout comme ces dernières années il y a eu des mobilisations géantes dans un sens opposé. Pour un observateur impartial, il peut sembler que ces manifestations, qui se produisent dans un environnement démocratique occidental, font partie de la libre concurrence des idées dans l'arène publique, et que les deux parties ont les mêmes armes pour se défendre. Mais ce n'est pas le cas. La différence entre les manifestants de dimanche et ceux qui réclamaient la liberté de Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, la semaine dernière, est que les premiers ont les juges, la police et les forces armées derrière eux. En sorte que quand quelqu'un ce dimanche criait "Puigdemont en prison" c'était plus qu'un vers de mirliton. C'était un désir qui se réalisera peut-être très bientôt.
C'est pour cette raison que leur discours victimiste déconcerte, discours d'une minorité silencieuse et opprimée par un gouvernement autoritaire, alors même que ce sont les autres qui ont été limogés et ont certains des leurs en prison. Mais une chose ce sont les faits que je décris et une autre leur perception. J'ai la conviction que bien des manifestants d'hier se sentaient exactement ainsi, obligés de défendre une chose qui pour eux aurait dû être aussi naturelle que de respirer : vivre en Espagne.
L'autre chose surprenante est comment peut-on tenir un discours de concorde quand on accuse l'autre bande de "racisme identitaire" (Paco Frutos, un partisan de Bachar El Assad) ou de "putschistes" (Carlos Carrizosa). Ou, cela va sans dire, lorsque la presse a une ligne éditoriale non alignée, les traiter de "semeurs de haine" (Josep Borrell à propos du quotidien ARA) On peut faire valoir que les indépendantistes sont tout cela ou pire, mais on ne peut pas dire qu'on est en faveur de la convivance parce que personne ne veut vivre avec un raciste ou un putschiste. Et, en dernier recours, on doit se demander : à qui profite la fracture sociale? Cui prodest, comme disaient les Romains.
De là, la grande clarté du plan présenté par les intervenants d'hier : soumettre la Catalogne à un processus de dénationalisation, une sorte de stérilisation identitaire, et à une folklorisation culturelle qui éradique à jamais le virus séparatiste.
Devant cela, les indépendantistes devront redescendre sur terre, ou plutôt aller dans la fange, pour défendre, non pas la République, mais les avancées obtenues en quatre décennies de gouvernements catalanistes. La plus précieuse de toutes: le modèle scolaire catalan inclusif. Et puis, tout ce qui constitue leurs attributs nationaux, que les autres voudront raser.
le changement de stratégie qu'implique de sortirr gagner à ne pas perdre devra être rapide et le plus indolore possible. Et la première ligne de défense, ce seront toujours les élections, ça, Carles Puigdemont et Oriol Junqueras l'ont compris. Maintenant, il est nécessaire de construire l'histoire du passage de l'offensive à la résistance. Cette dernière est, d'ailleurs, la spécialité authentique des Catalans.»