Dormez, braves gens...
En Espagne, ce soir, dix personnes dorment dans des cellules de prisons séparées. Elles n'ont droit ni à la chaleur toute relative d'être ensemble, ni au statut de prisonniers politiques. Je ne dirai pas leur nom, je ne le répéterai pas, vous pourrez les lire dans la presse.
Ces hommes et ces femmes, ce pourraient être vous, ce sera vous bientôt. Le vice-président et les ministres d'un gouvernement démocratique ont été emprisonnés en un temps record, dans un pays où la justice est lente et douce pour les puissants et les corrompus. Ils sont mêlés à des prisonniers de droit commun et ne bénéficieront sans doute jamais du statut de prisonniers politiques. Leur détention préventive peut durer de longs mois avant qu'ils ne soient réellement jugés dans un procès que l'on peut espérer contradictoire mais dont on sait qu'il n'en sera rien. Ils ont rejoint deux dirigeants d'associations civiles qui jamais n'ont commis ou orchestré d'action violente.
Pour l'Union Européenne, pour la France que je persiste à aimer car elle est la terre de mes ancêtres dont les cinq-huitièmes sont venus de l'étranger -de Minorque, de Pologne-, c'est toujours une affaire interne et il n'y a pas lieu d'en traiter. Un général d'armée espagnol, lors de la cérémonie du jour des morts militaires, a fait une claire allusion à un déploiement de la troupe dans un futur proche.
Les gens, par centaines de milliers sont sortis ce soir frapper sur des casseroles et des poêles. Leurs armes, ce sont des cuillères de bois qui peu à peu se fendillent et se cassent. Mais vous n'entendez rien, tout juste un ronflement que le son de la télévision couvrira. Dormez, ne vous posez pas de question. Je ne jouerai pas les Cassandre et Bruxelles n'est pas Munich, pas encore, du moins, mais réveillez-vous, de grâce. Ce sont vos frères que l'on emprisonne, vos poignets qu'on ligote. Et déjà votre peau sous l'étreinte rougit.