D'un poète espagnol, chef de file de l'«Autre sentimentalité», il y a quatre ans

Les faits se succèdent à une vitesse telle et dans une telle confusion -le politologue Jordi Graupera interroge les raisons de l'impréparation dans le camp favorable à l'indépendance, Manuel Valls, grillé en France, annonce qu'il participera aux élections catalanes du 21 décembre pour y défendre la position unioniste- qu'il s'avère nécessaire de prendre une distance multiple, territoriale, temporelle et linguistique.

Ainsi me semble-t-il nécessaire de relire un article publié, en espagnol, voici tout juste quatre ans par le poète andalou Luís García Montero, dans son blog au titre tiré de Luís Cernuda, l'un des grands poètes de la Génération de 1927, «la realidad y el deseo» (la réalité et le désir).

«Il y a des questions sur lesquelles il n'est pas agréable d'exprimer son opinion et sur lesquelles il n'est pas honorable de garder le silence. Le débat sur le droit des Catalans à l'autodétermination est l'une d'entre elles, pour moi. Cela est source de contradictions intérieures, la peur de me tromper, d'être injuste, de verser dans l'emportement. Mais dès lors qu'on publie régulièrement, on ne peut pas rester silencieux sans contribuer au débat, ne serait-ce que par une impuissance honnête.

Il est très caractéristique d'une manipulatrice telle que Rosa Díez de concevoir le piège de soumettre au vote le droit de tous les Espagnols de décider sur la question de la souveraineté catalane. Après avoir mis tous les obstacles possibles dans le processus de pacification du Pays Basque, il semble que son opportunisme veuille maintenant profiter des tensions catalanes pour aggraver définitivement la situation. Cela m'a conduit, au vu de sa stratégie, à déclarer qu'en tant qu'Espagnol et en tant que citoyen, il ne me semble pas que j'aie le droit de décider de la souveraineté possible de la Catalogne.

J'écris «il me semble» parce que dans toute cette affaire je n'ai qu'une certitude: tôt ou tard, l'indépendance de la Catalogne est déjà inévitable. Avec des sentiments, vous ne pouvez pas jouer. Je ne pense pas que nous ayons une chance de succès démocratique pour ceux d'entre nous qui voudraient un autre type de solution. Des positions truculentes comme celle de Rosa Díez, l'irresponsabilité politique des dirigeants et des raisons historiques objectives ont propagé un mouvement d'indépendance de plus en plus répandu. Nous nous tromperions en interprétant la fracture des socialistes comme une affaire interne. C'est le meilleur exemple de la situation. Ni par une simple stratégie électorale, ni par un simple sentiment, une force progressiste catalane peut-elle refuser de demander une consultation sur le droit à la souveraineté aujourd'hui? La réalité sociale lui passerait au-dessus.

Quand je parle d'irresponsabilité politique, je veux dire : des actions de différentes sortes. La faiblesse de notre bourgeoisie libérale pour articuler un État solide aux XVIIIe et XIXe siècles a laissé ouvertes de nombreuses fissures que les faiblesses de la transition espagnole n'ont pas réussi à résoudre efficacement. Il a été d'une irresponsabilité grave de soumettre depuis des années l'organisation territoriale et le transfert de compétences aux douloureux processus d'achat et de vente ouverts par les partis majoritaires chaque fois qu'ils avaient besoin, pour gouverner, du vote des minorités nationalistes. Et l'irresponsabilité du Parti Populaire a été majeure quand il a utilisé des questions telles que le statut de la Catalogne pour faire la guerre sur la scène bipartisane contre le PSOE.

La droite catalane a également été très irresponsable quand elle a dissimulé sous ses lamentations nationalistes le coût social de sa politique néolibérale et d'essayer de briguer de force un nouvel accord de financement sous le prétexte mensonger que l'Espagne vole la Catalogne. Cette accusation ne résiste à aucune analyse économique objective. Le fait est qu'elle s'est ainsi fourrée dans une impasse. Un simple changement de financement ne satisferait plus le sentiment d'indépendance de ses citoyens. Mais, d'un autre côté, le capitalisme catalan représenté par Convergència i Unió ne veut pas d'une indépendance pleine d'incertitude pour ses affaires. Il préfère continuer à mettre fin à l'État providence à Barcelone, Madrid et Grenade (ma ville natale). Parce que l'Espagne ne vole pas la Catalogne. Ce sont les élites économiques catalanes et espagnoles qui nous démembrent tous.

Dire qu'il y a des intérêts économiques sous le mouvement indépendantiste catalan n'implique aucune affirmation péjorative. Je crois à l'origine économique des idéologies. Je ne connais aucun processus religieux, national ou national de l'histoire qui n'ait pas de racine économique. L'argent devient sentiment et établit ses frontières. Chacun choisit alors sa position et les contradictions de la réalité surgissent. Avant on les résolvait par les armes. Nous avons maintenant la chance d'avoir des procédures démocratiques.

Je crois que l'autodétermination est un droit démocratique. Une société mature peut décider de son destin. Je crois aussi qu'il existe d'autres types d'identités au-delà des identités nationales. Mon identité civique, par exemple, a à voir avec le socialisme. Je vis la justice économique, la mémoire politique et l'État social en tant qu'identité. Je respecte le droit démocratique des Catalans à obtenir leur indépendance. Mais je ne serais pas en mesure d'approuver un pacte fiscal dans lequel les mensonges du capitalisme catalan provoqueraient une façon plus injuste de structurer l'Espagne. Et je crains que les grands hommes d'État, les hommes qui ont toujours tendance à confondre l'avenir avec les situations les plus confortables pour l'argent, vont maintenant s'orienter vers ce genre de solution.

D'une manière ou d'une autre, tôt ou tard, je pense que l'indépendance de la Catalogne est déjà inévitable. Il convient de ne pas s'en désoler et de trouver, à tous une façon ordonnée pour le processus. Je préférerais, bien sûr, que nous nous réunifions dans l'identité d'un État fédéral, socialiste et républicain. Mais cela fait partie de mon désir plus que de ma réalité.»