Facta non verba

Des faits, pas des paroles. L'impérieux adage est ancien qui guidait la grande sainte espagnole, Thérèse d'Avila.

Il y a plus de cinq siècles, Montaigne écrivait «il y a plus de livres que sur tout autre subject, nous ne faisons que nous entregloser». Le développement des moyens de communication, leur diffusion exponentielle en miroir par les réseaux sociaux, surtout ceux qui, avares de caractères, isolent, décontextualisent, amplifient et dénaturent.

Par un raccourci qui ne leur déplairait pas, on pourrait dire que le 140 a dépassé le 155. Et encore sont-ils au coude-à-coude puisque le réseau Twitter a annoncé qu'il testait les messages en 280 caractères.

Puisque les faits s'emballent, revenons-en aux dits, ou plutôt à l'écrit. Par un savoureux recours au désuet futur du subjonctif dans ses conditions premières, l'article 155 de la constitution espagnole dispose :

«art. 1. Si une communauté autonome ne remplit pas les obligations que la Constitution ou d'autres lois imposent, ou agit d'une manière qui menace sérieusement l'intérêt général de l'Espagne, le Gouvernement, après demande au président de la Communauté autonome et, en cas d'absence de réponse de ce dernier, avec l'approbation de la majorité absolue du  Sénat, pourra adopter les mesures nécessaires pour obliger celle-ci au respect impératif de ces obligations ou pour la protection du susdit intérêt général.

art. 2. Pour l'exécution des mesures prévues à la section précédente, le gouvernement peut donner des instructions à toutes les autorités des communautés autonomes.»

Ni plus, ni moins. Plutôt moins, d'ailleurs. Le style est abscons, plein de redites, d'anaphores vagues et de coups de menton. Ce que l'on appelle un blanc seing dont les faits se sont emparés comme, autrefois, dit-on, la vérole s'abattait sur le bas-clergé breton.

L'on sait l'emploi qu'en a fait le Gouvernement espagnol depuis un mois et demi. Arrestations arbitraires, mises en examen sommaires, interdiction du catalan dans les échanges officiels, transfert précipité de chefs d'œuvre sous les auspices de l'article 155.

En attendant, à l'ombre des murs de leur prison, des femmes et des hommes souffrent dans leur esprit, et un homme, qui a perdu l'usage d'un œil, souffre dans sa chair. Le temps donnera raison aux premiers, pas au second. Mais dans les deux cas, l'écrit, ou plutôt le non-dit, aura entraîné des conséquences en Catalogne et en Espagne qu'à ce jour il est difficile d'évaluer.