Fruits de saison
Après l'Andalou Luis García Montero et le Minorquin Ponç Pons, je laisse la parole à un autre poète, le Catalan Narcís Comadira car la parole poétique recèle souvent plus de sagesse que les analyses au scalpel ou les imprécations impitoyables.
«Cette semaine, on a fêté la Toussaint. Et, le lendemain, le Jour des Morts. Maintenant, les gens confondent les deux fêtes, qui étaient auparavant bien différenciées. Ce que les gens appellent la «Castanyada» (la fête des châtaignes), se faisait naguère le soir de la Toussaint et non la nuit des Morts, dans un curieux mélange avec l'Halloween anglo-saxon. Mais Sainte Thérèse, c'est le Bon Dieu, comme dit la Sœur Eulàlia d'un couvent de Gérone, pour dire que de prier Dieu ou ses saints revenait au même. Alors maintenant, la Toussaint se confond avec le Jour des Morts et la «Castanyada», c'est Halloween. Et nous avons ainsi fait entrer les citrouilles dans le panier des marrons. Pour ma part, j'ai aussi trois ou quatre coings, le fruit la plus cabossé, comme disait Carner.
Des marrons, on en a reçus, et pas qu'un peu le 1er octobre, de bons vrais marrons physiques, et, maintenant, nous en recevons de moraux, jour après jour. Le dernier, l'emprisonnement, avant-hier, de la moitié du Gouvernement, choisi par tous. Les citrouilles [intraduisible : "donar carbasses", c'est envoyer promener], aussi ils nous en ont donné. Nous voulions avoir une République et nous l'avons à peine. Cela ne nous a même pas laissé le temps d'enlever le drapeau de l'occupant qui flotte au sommet du palais de la Generalitat. Et l'occupation de notre pays, qui avait déjà commencé avant n'importe quel décret, parce que c'est quelque chose qui vit de façon larvée dans l'esprit de l'État espagnol depuis, a été ratifiée, par une justice qui n'en a que le nom, avec le fameux article 155 dont personne ne sait ce qu'il est parce que c'est une chose si élastique qu'elle se raccourcit ou s'étire de tout côté au gré des occupants [...]
Et nous, où en sommes-nous? Je ne sais pas. Qu'avons-nous mal fait ? Presque tout. Qu'avons-nous bien fait ? Eh bien de vouloir exister. De perdre la peur. De chercher la liberté et la vérité à propos de toutes choses. Et c'est dans cette voie que nous devons poursuivre. Tranquilles, patients, sachant que nous avons raison. Et cette raison finira par être reconnue. Quand ? Peut-être dans quelques années, quand les adolescents d'aujourd'hui pourront aller voter et que la victoire dans les urnes sera si incontestable et si brillante que l'Europe devra la reconnaître. Pour le moment ils sont aveugles, parce que l'intérêt les aveugle. Mais tout finira par arriver. L'Espagne et l'Europe doivent changer. Quoi que ça coûte. Nous devons aider à construire depuis notre république, une Espagne propre et moderne et une Europe où les pays réels et non les États seront aux commandes. Sinon, l'Europe est inviable et l'Espagne s'approche de son anéantissement, dévorée par le cancer de la corruption économique et légale qui provient d'une dictature sanguinaire.
Je regarde les coings que j'ai dans mon compotier. Cabossés comme notre réalité. Mais ils mûrissent petit à petit et répandent déjà leur parfum inégalable.»