Antigone en prison
Antigone, pour les Montpelliérains, c'est avant tout un quartier (naguère) novateur, érigé sous la houlette du maire Georges Frêche, pour marquer de son sceau la (re)naissance d'une cité dans le désert méditerranéen entre Barcelone, Marseille et Gênes. Le géographe Raymond Dugrand, premier adjoint de l'édile, en avait confié la réalisation à l'architecte catalan Ricardo Bofill. Et de mauvaises langues disaient que son nom provenait moins de l'héroïne grecque qu'il ne s'opposait («anti-») à l'ultime joyau du précédent maire, le centre commercial Polygone.
Montpellier, siège de la deuxième université d'Europe, ville de concorde entre les trois religions du Livre, berceau du roi Jacques le Conquérant, initiateur de la domination catalano-aragonaise sur la Méditerranée, accueillera le mardi 9 janvier, à la salle Guillaume-de-Nogaret, à partir de 18h30 un «débat sur la situation politique en Catalogne» avec Mireia Boya (CUP), Ana Surra (ERC), David Grosclaude (Parti Occitan) et, en liaison vidéo depuis Bruxelles, le président Carles Puigdemont.
Mais revenons à Antigone, l'héroïne de Sophocle, ressuscitée par, entre autres, le Français Jean Anouilh en 1944, sous l'Occupation, ou le Catalan Salvador Espriu, en 1939, peu de temps après l'entrée des troupes franquistes à Barcelone.
Antigone, estimant les lois divines supérieures aux édits des hommes, s'oppose à son oncle Créon, dont elle brave l'interdit pour donner une sépulture à son frère Polynice. Elle en mourra.
Même si chez Sophocle elle incarne l'offense faite aux femmes («ce n'est pas une femme qui fera la loi»), Antigone n'a pas de sexe et traverse les âges en surmontant le caïnisme délétère par la légitimité face à la légalité.
Antigone, ces semaines ci, c'est Oriol Junqueras dont un récent sondage commandé par El Español révèle qu'une majorité des Espagnols (52,6%) souhaite le maintien en prison préventive. Antigone, c'est Carles Puigdemont dont 67,2% des interrogés exige l'emprisonnement immédiat s'il revient en Catalogne.
Mes propos vous semblent sans doute forcés. Alors, oubliez-moi et lisez ou relisez Antígona de Salvador Espriu. Le poète des symboliques Sinera et Sepharad, qui venait de perdre son père après son-ami-son-frère, Bartomeu Rosselló-Pòrcel. Vous y verrez que l'empreinte de la Guerre civile qui foule aux pieds individus et peuples vaincus est encore bien vivace, à moins de 200 km de la salle Guillaume-de-Nogaret.