Gouvernements en fonction
La mémoire des sociétés démocratiques ou, plus exactement, qui pensent vivre en démocratie, est volatile.
Qui se souvient encore qu'il n'y a pas si longtemps l'Espagne ne parvenait pas à s'assurer une majorité de gouvernement ? Elle était ingouvernable. Était-elle pour autant ingouvernée ? Non pas. Par un curieux et durable artifice, le précédent gouvernement, issu de la majorité populaire, demeurait en fonction. Jamais gouvernement, alors même qu'il n'avait plus aucune légitimité démocratique, n'a pris autant de décisions ayant d'incidences sur le citoyen lambda. Pour quelle raison ? Tout simplement car issu d'un parlement antérieur il n'était pas responsable sur le parlement élu. La situation se répétait alors inlassablement. Le monarque, dans son costume étroit de représentant en aspirateurs, appelait auprès de lui les éventuels candidats à la reprise, constatait l'inviabilité des coalitions peu ou prou dessinées et convoquait de nouvelles élections.
Une sorte d'état préliminaire à celui de l'application de l'article 155 à la Catalogne... Et à la situation qui s'amorce au sortir d'élections pourtant gagnées à la majorité relative de voix et absolues en sièges par les partis favorables à l'indépendance. Non seulement l'article 155 demeure en vigueur mais les projets de gouvernement prolongent ce marais.
On le comprendra aisément du parti Ciudadanos, poussant la rouerie jusqu'à profiter de l'absence des députés élus emprisonnés ou exilés pour tenter de s'arroger le bureau et la présidence.
On le comprendra beaucoup moins de la part d'indépendantistes qui conçoivent l'idée d'un gouvernement avec des ministres sans portefeuille et des ministères gérant les affaires courantes. L'art de gouverner en fonction semble avoir de beaux jours devant lui.
À moins que le peuple, las et ulcéré des humiliations successives, dont la dernière en date est le refus de la cour suprême d'élargir Oriol Junqueras, ne prenne les choses en mains. Dans le calme, la paix et la détermination, comme il a démontré qu'il savait le faire.
N'est-ce pas ce que l'on nomme démocratie ?